Dimanche 28 juillet 2013 à 18:18


http://ambre.cowblog.fr/images/memeperso1.jpg


Suite de cet article : http://ambre.cowblog.fr/les-cathares-en-pays-occitan-1-3246863.html

Il y a une chose qu'on apprend normalement tous à l'école, c'est qu'autrefois en France il y avait les gens qui parlaient la "langue d'oïl et la langue d'oc" (rejetant au placard les Bretons, Savoyards, Basques, etc...). La réalité est bien plus compliquée, et il ne s'agit pas de deux ensembles distincts et unifiés.

Vous avez peut-être entendu parler de la croisade contre les cathares sous le nom de "croisade contre les albigeois". Albi est une ville du Tarn, qui réserva un accueil plus que houleux au représentant pontifical en 1145. En 1165, eut lieu la première battle de rap chrétien entre cathares et catholiques orthodoxes. Des jours de débat pour savoir qui avait raison, avec la populace comme arbitre. Pratique courante à l'époque. "Remportée" aisément par les cathares, avec des romains se contentant de taxer leurs adversaires d'hérétiques. (1) Les albigenses étaient le nom des cathares pour l'Eglise. Albi-Toulouse-Béziers-Foix. C'est cette zone qui est la plus soumise à l'influence du catharisme (sans oublier Agen).

Cas unique dans l'histoire des hérésies chrétiennes, le Lengadoc est le seul endroit où l'on voit une religion se développer et s'installer durablement à tous les niveaux de la population. Ce ne fut pas le cas avec les manichéens du Nord (Orléans, Reims...). Ni avec les ketzers (très similaire aux cathares, pas que dans la phonétique) en Allemagne ou encore les bougres dans les Balkans.

Le pourquoi tient avant tout à l'état économique, politique, religieux du Languedoc à l'époque. Nulle part ailleurs ne se retrouvent, au XIIème siècle, un tel esprit de tolérance et de liberté individuelle ; un "vide" politique et religieux, lié à l'absence d'une autorité centrale ; une expansion économique et urbaine. Alors que dans le Nord, prévaut une structure sociale typiquement féodale, imposant le servage. Ce qui permet au roi de France, malgré son territoire bien maigre, d'imposer sa loi à ses vassaux, presque sans anicroches. En Lengadoc, on est très loin du compte... 

Avant tout, n'oubliez pas que les structures féodales sont organisées en plusieurs niveaux de féodalité : Le comte de Toulouse est vassal du roi de France; Le compte de Foix est vassal du comte de Toulouse; Le seigneur du château de Montségur est le vassal du comte de Foix; etc... Dans le Nord, les paysans sont inféodés au seigneur, ce qui n'est pas le cas dans le Lengadoc. Au Nord, je l'ai dit, le roi de France est maître. Bien aidé par les traditions et mentalités franques et goths, l'Eglise puissante et respectée ainsi que, il faut bien l'admettre, un horizon mental plus étréci que d'autres peuples... (ndr : Rassurez-vous chers lecteurs du sud de la Manche, au bout de huit siècles vous vous êtes améliorés).

En Lengadoc, l'être humain est présent sur ces terres depuis bien plus longtemps que ceux du Nord (tribus germaines qui l'ont colonisé, principalement). Il y a là plus fort qu'au Nord l'héritage et l'influence des civilisations anciennes, raffinées eut égard à notre vision du Moyen-Âge. L'art y est en constante expansion et invention (les trobadors, ou troubadours...), les échanges commerciaux et intellectuels fructueux à l'échelle du bassin méditerranéen (principalement tenu par les arabes, alors en passe de devenir, pour environ deux siècles, la civilisation la plus évoluée et cultivée au monde). Bref, tout ceci permet une structure politique et sociale beaucoup plus lâche que dans le Nord. Mais ne vous trompez pas, nous n'avons pas affaire à des hippies tolérants, mais des capitalistes tolérants. L'assurance commerciale est inventée en pays occitan, se développent aussi les premières sociétés à actionnaires (pour la reconstruction des moulins de Bazacle, à Toulouse, suite à une inondation) !

La mobilité sociale est plus grande que dans le Nord. Les bourgeois et haut-bourgeois plus nombreux, les commerçants et artisans aussi, les paysans riches - parfois plus que leur seigneur - également. Il n'y a pas de droit d'aînesse, ce qui signifie que l'héritage est redistribué à égalité entre les enfants, ce qui dans le cas des seigneuries contribue à morceler le territoire, en opposition à la centralisation au Nord. La hausse des échanges commerciaux a entrainé la hausse du rôle des villes au sein du Lengadoc. Il faut savoir que Toulouse est alors plus peuplée et plus grande que Paris. Elle n'est d'ailleurs de fait pas dirigée par le Comte, mais par un conseil de douze élus appelés capitouls. Idem pour le vicomte de Béziers...

Pour faire court, la liberté est plus grande qu'ailleurs. Même les juifs (On parle du peuple déicide, selon les mentalités de l'époque et celles de certains de nos contemporains) sont réhabilités et autorisés à travailler en ville (comme financiers pour la plupart). Evidemment, l'Eglise s'y oppose, comme à presque tout d'ailleurs. Elle menace et excommunie à tout va tous les seigneurs et nobliaux libéraux, sans grand effet face aux retombées économiques et à la structure même de l'organisation sociale. Je reprends ici la phrase utilisée par Emmanuel Le Roy Ladurie, à propos du Languedoc : une constellation de républiques aristocratiques. Pire encore, la plupart des grands seigneurs sont nomades, bien conscients qu'ils ne règnent pas sur les villes, mais sur un comté.

Tout ceci explique la propagation et l'acceptation de l'hérésie cathare à tous les niveau du Languedoc. Même si les seigneurs avaient voulus s'entendre pour chasser les cathares, ils n'auraient pas pu :

Certes, le comté de Toulouse, est riche, puissant et respecté partout en Europe. Certes, il possède lui même huit grands vassaux (dont la Rouergue, la Provence, le Comtat Venaissain aka Avignon, Foix, etc...).

Mais le comte de Toulouse est non seulement vassal du roi de France, mais aussi d'Angleterre, avec qui la France sort de guerre et va bientôt s'y relancer, ce qui pousse les deux rois à la prudence.

Mais le le comte de Foix, est vassal de Toulouse mais aussi du roi d'Aragon (Catalogne, Asturies et autres). Ce qui fait que le roi d'Aragon possède des territoires en Languedoc mais aussi les villes de Montpellier et Millau.

Mais les rivalités, parfois militaires, entre vassaux de Toulouse (Foix Vs Béziers par exemple) créent une pagaille pas possible. Mais les petits seigneurs, vassaux des vassaux du comte de Toulouse (ça commence à faire beaucoup), ainsi que les propriétaires des forteresses imprenables comme à Minerve, Quéribus ou Termes agissent à leur guise.

Tandis qu'une Eglise corrompue, incapable de lever des impôts, discréditée, avec un clergé parfois chassé des paroisses, peine à exister.

Comprenez que si on mélange tous ces éléments en même temps, conjugués à l'incroyable dynamisme économique et social du pays cathare, on obtient un cocktail d'impuissance politique proprement ahurissant. Qui fait le bonheur des bourgeois, artistes, philosophes, commerçants et autres paysans.

Mais pas... mais alors pas DU TOUT le bonheur des seigneurs, qui, par ces situations ubuesques de liens diplomatiques bidons, ainsi que la puissance des collectivités locales, sont tout juste INCAPABLES de lever une armée. Ce qui ne serait rien... si l'Eglise et plus particulièrement le pape Innocent III (un bien joli nom pour un criminel) n'avait décidé la fin de la récréation et de montrer que c'est bien lui qui a la plus grosse (je parle de la Foi, bien entendu).

Dans un premier temps, l'Eglise catholique orthodoxe réagit en envoyant des missionnaires redonner la foi aux hérétiques de la région. On peut déjà tuer tout suspense : c'est un échec complet et persistant. Non seulement aucun Parfait ne reniera l'hérésie, mais très peu de fidèles cathares se convertirent de nouveau à la foi orthodoxe. Lorsque le pape Innocent III lance son programme de reconquête spirituelle du Languedoc, en 1198, en envoyant deux émissaires sur les routes : frère Guy et frère Raynier. On estime alors le nombre de Parfaits à environ 4.000, pour beaucoup plus de fidèles.

Le but des deux compères et d'amener à montrer publiquement aux cathares qu'ils sont dans le faux, en plus d'être hypocrites. Malheureusement, saint Bernard les prévient d'entrée : "Examinez leur manière de vivre et vous ne trouverez rien de répréhensible". La tache s'annonce ardue... sans compter que le clergé languedocien est soit inefficace, soit chassé de ses terres, soit lui-même corrompu par l'hérésie. Les deux moines vont parcourir le pays jusqu'à l'épuisement (Rainier tombe malade), mais ne récoltent que des insultes. Fin de la première manche.

En 1200, c'est le cardinal Jean de Saint-Prisque qui annonce en grande pompe qu'il va combattre l'hérésie. Son passage fut tellement important pour la population qu'on en retrouve quasiment nulle trace dans les archives de l'époque.

En 1204, le pape se chauffe un peu et désigne l'abbé Arnaud-Amaury (que l'on retrouvera souvent). Ils lancent la mode des débats, qui seront très suivis à l'époque. Le premier à lieu à Carcassonne, face à un évêque devenu cathare (Bernard de Simorre). 13 catholiques et autant de cathares forment le jury, tandis que Pierre II, roi d'Aragon (quand même!) préside les débats. A la fin des débats, Pierre II (catholique orthodoxe), par souci diplomatique, accorde la victoire aux catholiques romains. Cette "victoire" n'entraînera aucune conversion à la foi orthodoxe dans tout le Lengadoc.


La situation va considérablement changer avec l'arrivée de deux espagnols au campement d'Arnaud-Amaury, qui malgré la "victoire" pense à abandonner la mission que lui a confié le pape, tellement elle lui parait impossible à accomplir. L'un de ces espagnols s'appelle Dominique de Guzman, plus connu sous le nom de saint Dominique (comme quoi n'importe qui peut être sanctifié...). Il secoue l'abbé et ceux qui l'accompagne, et parle "tactique" : il sermonne le clergé qui continue dans ses mauvaises habitudes, et les presse de continuer à prêcher mais en étant aussi "Parfaits" que les cathares. Je ne m'attarderai pas trop sur l'influence majeure de Dominique de Guzman, disons simplement qu'il fut un fanatique catholique animé d'une volonté exceptionnelle.

Voilà donc nos deux espagnols sur les routes du Languedoc. Nous sommes en 1206. Ils rencontrent de nombreux cathares sur leur passage, et quelques bons mots leur sont adressés : "La prostituée (ndr : l'Eglise) m'a longtemps retenu. Elle ne m'aura plus jamais." (Thierry de Nevers). Dominique essuie des échecs dans tous les lieux qu'il découvre. Personne ne se convertit, c'est tout juste s'il n'est pas chassé par les habitants. En 1207, ils se rendent à Fanjeaux où résident de nombreuses familles cathares. Un débat est programmé à Montréal, non loin de là. Cet évènement est appelé le "Miracle de Montréal" par l'Eglise.

Pendant plus de quinze jours ont lieu des débats oraux et écrits entre partisans des deux fois. Une des propositions catholique aurait résisté à l'épreuve du feu, qui consiste à jeter le papier dans un brasier. Non pas une fois, mais trois fois. Aucune conversion n'a lieu pour les catholiques, mais cet évènement aura une renommée considérable.

Dominique et les siens sont cependant diminués. Ils voyagent dans le dénuement, ne mangent que ce qu'on leur donne (soit bien peu) et sont des proies faciles pour les loups, très présents à l'époque. En fait, Dominique, fatigué et fanatisé, en vient à chercher le martyre et souhaite presque se faire démembrer par la populace. Un jour, à Prouille, il craque. :

"Je vous ai chanté de douces paroles depuis bien des années, déjà en prêchant, en implorant, en pleurant. Mais, comme dit le peuple de mon pays, là où ne vaut la bénédiction prévaudra le bâton. Voilà que nous appllerons contre vous des chefs et des prélats qui, hélas ! rassembleront contre ce pays la puissance des nations et feront mourir bien des gens par le glaive, ruineront les tours, renverseront et détruiront les murs et vous réduiront tous en servitude. Ô douleur !"

Des paroles graves, prophétiques en un sens. L'échec de saint Dominique entraine un durcissement du ton du pape dans la diplomatie. Raymond VI, comte de Toulouse, s'énerve également. Le pape Innocent III est à bout de patience. C'est un assassinat qui va débloquer la situation et permettre à la machine de guerre sa mise en marche (comme souvent).

Le prétexte s'appelle Pierre de Castelnau, homme inflexible entièrement dévoué à l'Eglise, venu de Provence pour excommunier ou ramener à la raison Raymond VI, qui n'est guère intéressé. Le 14 janvier 1208, au petit matin, Pierre de Castelnau est assassiné par un chevalier qui le charge et le perfore de sa lance. Pour Innocent III, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase, il lance un appel à la croisade. Par les armes cette fois. Aujourd'hui encore, on ne sait qui est le commanditaire de l'assassinat. La version officielle est que Raymond VI en fut l'instigateur. Mais il n'était point sot, et forcément au courant du terrible jeu diplomatique qui allait s'enclencher, et de son incapacité à y répondre militairement.



(1) En filant la métaphore, ce serait comme un clash de Booba face à Oxmo Puccino.


Sources :
Les mêmes que sur le premier article.

A suivre...

Dimanche 28 juillet 2013 à 17:50



http://ambre.cowblog.fr/images/colombecathare.jpg


Le terme de "cathare" évoque beaucoup de choses, pour ceux qui, du moins, en ont entendu parler. Florilège non exhaustif :

- Une secte dogmatique à tendance suicidaire.
- Les derniers gardiens du trésor des Templiers.
- Le Ricard. Ou le Pastis.
- Les guerres de religion.
- Etc...

Il est étonnant de voir la quantité de fantasmes qui existent au sujet des cathares, alors que les sources de documentation et les travaux sérieux se sont multipliés lors du dernier siècle. Mais les réputations, même fausses, sont souvent tenaces. Je vais commencer par une présentation grossière de la religion cathare, du pourquoi de sa naissance, et des bouleversements hallucinants qu'elle a entrainé dans son sillage.

Les cathares, qui apparaissent fin Xème siècle, début XIème siècle après Jean-Claude, s'appelaient eux-même les "chrétiens". Ils se basaient sur la lecture de l'Evangile selon Saint-Jean. Là, si vous n'avez pas déjà décroché, vous vous dites : "mais attends mon gars ! S'ils sont chrétiens... d'où vient cette histoire de guerre de religions ?"

J'y viens : bien que s'estimant chrétiens, les cathares sont indubitablement hérétiques en regard du dogme de l'église catholique orthodoxe (orthodoxe sera toujours utilisé dans le sens strict de "conforme au dogme", je ne parle pas de l'Eglise orthodoxe qu'on trouve en Europe de l'Est). La première différence tient dans le manichéisme de la religion. Le manichéisme serait né au IIIème siècle en Babylonie, en faisant une synthèse du christianisme primitif, de l'enseignement de Bouddha et de Zarahoustra. Grossièrement, le Bien et le Mal sont éternels et coexistants. Pour les cathares, le Mal se manifeste dans l'essence physique de ce monde, y compris dans les corps humains (ce qui conduira nombre de "penseurs" à conclure au nihilisme des cathares).

Le manichéisme des cathares a contribué à l'évolution gnostique de leur religion. La gnose, c'est la Connaissance. Pour les uns du monde, pour les autres des esprits... pour les cathares, la connaissance de Dieu, de l'Être Supreme. Les cathares recherchaient l'illumination intérieure. Je vous épargne toutes les nuances philosophiques et spirituelles que cela entraine, mais elles y sont pour beaucoup dans le schisme qui se produira plus tard avec l'Eglise.

L'essentiel de la doctrine cathare se retrouve dans le manichéisme, mais il y a également d'autres différences radicales. Ainsi, les cathares croayient en la réincarnation ! Les corps étant l'incarnation du Mal, il n'y a que l'esprit qui compte. Quand le corps meurt, l'esprit continue à vivre et s'engage dans un nouveau cycle lors duquel il pourra tenter d'atténuer ses erreurs pour atteindre le stade final, l'illumination. (On est pas loin du concept de Nirvanah).

L'Eglise catholique orthodoxe peut déjà difficilement accepter un tel mouvement au sein même de la chrétienté. Mais la ligne est franchie par un dernier fondement du catharisme comme religion : l'affirmation que l'Eglise est diabolique , dans le sens où elle se concentre sur le dogme, les rituels, les idoles, qui sont diaboliques par leur essence matérielle. L'Eglise est d'abord critiquée sur le plan spirituel : les rites ne sont que des farces qui sont là pour égarer les vrais chrétiens et les déposséder de leur âme.

Mais - et c'est une des clefs du succès de la religion en Lengadoc - la dépossession n'est pas que spirituelle mais aussi matérielle. L'Eglise a tendance à s'approprier les terres et les richesses de ses ouailles, qui ne sont guère lotis au passage... les cathares vont déclencher un véritable déchainement anti-clérical, non pas par tactique mais tout simplement par "pureté" de foi, comme nous allons le voir par la suite.

Les cathares, et plus particulièrement les plus hauts placés, sont encore vus comme les tenants d'une religion dure, fanatique, qui nie l'être humain. (1) Dans les faits, c'est plutôt l'Eglise catholique orthodoxe qui a très bien rempli le rôle qu'on prête aux cathares.

Les ministres du cultes étaient les Bons Hommes ou les Bonnes Femmes (aussi appelés "Parfait(e)s" ou "Pur(e)s", dont l'étymologie renvoie à catharos). Petit rappel : nous sommes aux alentours de l'an 1100, et les femmes ont le droit d'atteindre les plus hautes fonctions religieuses. Ce qui importe n'est pas le corps, mais l'âme. On peut difficilement faire plus progressiste. D'ailleurs, de nos jours, nous n'y arrivons tout simplement pas, ou très peu. La plupart d'entre eux étaient des gens âgés, et avaient fondé une famille avant d'entreprendre leur "illumination". On voit d'ailleurs que ce sont des gens sensés, ils ont profité du plaisir diabolique du coït avant de s'engager dans l'abstinence.

Les Parfaits, qui venaient souvent de milieux modestes, recevaient au terme d'une initiation ce qu'on appelle le consolamentum (que l'on retrouvera plus tard). Grosso modo, le Saint Esprit leur était insufflé, leur âme était purifiée, et il devait ensuite s'en tenir à des règles de vie très strictes. Cependant, la masse des croyants n'étant pas habitée par le Saint-Esprit, les Parfaits étaient très sévères envers eux-même, mais également très permissifs à l'égard des croyants.

Les Bons devaient être pauvres, mais ne dépendre de personne. Ils avaient tous un métier (leur préféré : tisserand). Ils étaient végétariens, mais s'autorisaient le poisson. Ils s'interdisaient les rapports intimes, le serment, le mensonge et la violence sous toutes ses formes. Encore une fois, sans jamais imposer cette ligne de conduite aux croyants. En outre, ils étaient des prêcheurs inlassables, parcourant les routes. Ils maitrisaient au moins les rudiments des soins, et les croyants n'hésitaient pas à solliciter leur avis sur bien des questions, y compris théologiques, car on les considérait comme des sages.

L'intégrisme supposé des cathares vient peut-être du fait qu'on ne connait qu'un seul et unique cas d'abjuration de leurs croyances, face au bûcher de l'Inquisition... d'une manière générale, il eut été inconcevable qu'une religion dogmatique et intransigeante se soit développée en Lengaoc. "Pays" qui a vu naitre les trobadors (troubadours). Lieu d'une liberté économique, politique et sociale qu'on ne retrouve pas ailleurs à l'époque. Mieux, les cathares encouragent le commerce, l'artisanat et la solidarité au sein de la société. Tout en fustigeant l'hypocrisie de l'Eglise catholique et sa main-mise sur la foi et les possessions des fidèles... ce qui n'est pas du goût des autorités ecclésiastiques.


*****

A la fin du XIIème siècle, le comté de Toulouse était en pleine prospérité. Artisans, paysans, bourgeois, subissaient peu les contraintes du régime féodal. C'est dans ce milieu libre que s'épanouirent les troubadours. Ils adhérèrent rarement à l'hérésie mais ils étaient antiromains. L'anticléricalisme, l'émancipation des cités, la dispersion du pouvoir politique, favorisèrent la tolérance de l'hérésie. - Déodat du Puy-Montbrun


Avant de rentrer dans la baston à proprement parler, il vaut mieux donner quelques clefs de compréhension d'ordre politique.

Disons qu'un siècle à passé depuis la progression de la religion cathare en Languedoc... mais qu'est-ce que le Languedoc ? J'utilise ce terme dans un sens de simplification géographique, car notre Languedoc-Roussillon actuel correspond plutôt bien à l'espace de développement du catharisme (qu'on retrouve en Midi-Pyrénées également, n'avez qu'à jeter un oeil à leur emblème...)

La limite nord du secteur cathare se trouve en pays de Quercy (Cahors) et en Gévaudan (Mende, actuelle Lozère), ainsi qu'une percée jusqu'à Avignon (la cité papale) et au-dessus, vers Montélimar. Ces deux dernières villes, reliées à Nîmes (Gard), forment la ligne de démarcation Est. A l'Ouest, on parle du pays de Comminges, plus particulièrement côté Garonne. Au Sud, la barrière montagneuse des Fenouillèdes, près de Perpignan, où l'on trouve les plus isolées des forteresses cathares.

Au centre de ce vaste ensemble, le coeur du pays cathare : le comté de Toulouse, le duché de Razès (Mirepoix, Fanjeaux...), le Minervois, les Corbières (vallée de l'Aude) et bien sûr l'épicentre : la Rouergue, entre Tarn et Aveyron actuel.


http://ambre.cowblog.fr/images/payscathare.jpg



Si l'on ne compte pas le système de vassalité qu'on retrouve partout à l'époque, le territoire complet du royaume de France est plus petit que le seul comté de Toulouse, qui lui-même est loin d'être le plus grand ensemble à l'époque (cf duchés d'Aquitaine, de Bretagne, de Normandie...)


http://ambre.cowblog.fr/images/france1030.jpg


Voici la situation de notre bonne vieille France en 1030, soit avant le lancement de l'Inquisition et de la seule et unique croisade en terre chrétienne (contre les comtés de Toulouse, Quercy, Rouergue, Roussillon, Gévaudan, ainsi que le marquisat de Gothie, vous l'aurez compris).

http://ambre.cowblog.fr/images/france1330.jpg


Et ça (2), c'est le résultat trois siècles et près d'un million de morts plus tard. Que s'est-il passé entretemps ?

(1) Je pense notamment aux déclarations du député européen Yves Cochet (Verts) à l'encontre du journal La Décroissance, en 2011.

(2) En bleu foncé, le territoire royal. En mauve, le territoire vassalisé.

Sources :
Historia spécial, n°373 bis, 1977


A suivre...
 

Samedi 27 juillet 2013 à 22:08

Comme il est toujours un peu fatigant d'écrire à longueur de temps sur des sujets politiques et/ou de société, il est bon pour moi de changer d'air et d'aborder des sujets plus légers, quoique toujours aussi troubles... 

Vous avez peut-être déjà entendu parler une fois dans votre vie de personnes, retrouvées mortes, dont le cadavre est parfaitement conservé même après plusieurs siècles, dans un état bien supérieur à ce qu'on peut attendre de la plus jolie des momies. Souvent, ces manifestations prêtent à rire. Encore aujourd'hui, peu de gens sont prêts à accorder du crédit à ces évènements, les qualifiant au mieux d'assertions loufoques, de machinations ; au pire, y trouvant un aspect franchement dérangeant, voire maléfique. (1)

Pourtant, comme l'attestent de nombreux témoignages de bonne foi à diverses époques, ce phénomène, quoique anecdotique, est loin d'être une farce pour des personnes un poil trop naïves ! En voici quelques uns :

1) Le premier concerne ce bon vieux Roi Soleil, alias Louis XIV. Notre despote, dans sa jeunesse, est passé dans un village de Provence que l'on appelle la Celle-Roubaud. C'est sa mère qui l'emmène, pour visiter la dépouille d'une femme d'environ soixante ans. Elle est parfaitement conservée. Curieux, le roi demande au curé des explications. Cette femme se prénommait Roseline de Villeneuve, morte en janvier 1329, soit plus de trois siècles auparavant ! Pire encore, on apporte au roi une boîte contenant les yeux de la femme... l'un de ceux-ci est piqué devant lui, le roi ne peut alors que constater le flétrissement du globe oculaire, et l'humeur rosâtre qui s'en échappe...

En 1660, on se satisfait largement de l'intervention divine comme explication au phénomène. Le corps sera transféré dans un autre contenant en 1887, les préposés à la manoeuvre constatent une fois de plus la souplesse des membres, l'état exceptionnel de conservation du corps. Peu après, les insectes s'attaquent enfin au corps, qui finira momifié en 1894, après plus de cinq siècles de conservation incompréhensible.

2) En 1898 meurt un moine, le père Chabrel. Mais en 1899, on constate que son corps est toujours parfaitement conservé... En 1900, on présente le cadavre au soleil durant six mois afin de le dessécher, sans succès. En 1927, toujours dans un parfait état, le corps est enfermé dans un cercueil métallique. Ce cercueil sera réouvert en 1952 pour études... et les universitaires de constater que rien n'a changé, encore une fois. Plus fou encore, en vingt-cinq ans le corps à exsudé plus de 20 litres d'une sorte de liquide, alors que le corps humain ne contient normalement pas plus de 5 litres de corps liquides...

Même constat effectué par des profanateurs de tombe en 1793, qui retrouvent le cadavre parfaitement conservé d'un homme enterré ici il y a 149 ans. Le phénomène drainera tellement de monde que les révolutionnaires y mettront un terme radical en jetant le corps de Jean le Vasseur (c'était son nom) dans une fosse commune.

3) A Brive, en 1932, travaux de rénovation du cimetière communal... et grande frayeur pour les ouvriers, qui découvrent le corps d'une très jeune fille, à la peau fraîche et au corps souple. La jeune fille est morte depuis plus d'un siècle. A Milan, en 1959, on exhume le corps du poète Manzoni, décédé en 1873. Là aussi, on ne peut que s'étonner de voir un cadavre aussi pur de toute agression post-mortem. Ou encore cette exhumation en Nouvelle-Calédonie, en 1977, où l'on a remonté le corps d'un homme décédé quarante plus tôt, sans aucune lésion ni attaque de la vermine, ou simplement du temps...

4) Attendez, il y a encore plus fort ! Dans la province du Hounan, en Chine, on a retrouvé le corps d'une femme d'environ cinquante ans, morte... deux siècles avant la naissance de cet hérétique juif célèbre, Jésus Christ. Toujours dans un état parfait de conservation.


Intriguant, n'est-ce pas ? Ces phénomènes, du moins ceux qui sont répertoriés, sont au final assez nombreux. Néanmoins, lorsque les rapporte au nombre de décès, la probabilité qu'ils apparaissent est infime. Une chose qui revient souvent (mais pas tout le temps), ce sont les fameuses humeurs roses ou rouges, qui suintent et qui font penser à du sang. Ces humeurs ont notamment pu influencer l'imaginaire du vampirisme et de la magie du sang.

Ce que l'on sait, à ce sujet, est plutôt ce que l'on ne sait pas. Voyez par vous même : la conservation du corps ne provient ni de la composition de la terre, ni de l'air du lieu de conservation des dépouilles. Ils étaient tous différents, certains bien conservés, d'autres complètement délabrés. A certains corps ou contenants de ces corps, on a ajouté des produits, sans différence dans la conservation du cadavre.

De même, on a déjà retrouvé des corps parfaitement conservés dans... de la chaux vive (cinq femmes mortes au Québec en 1707, retrouvées en 1727).

Enfin, même le monde animal apporte plus de questions que de réponses... ainsi, en 1851, un bloc de silex est perforé à 19 mètres de profondeur par des ouvriers, près de Blois. Ils y repèrent une cavité, et à l'intérieur... un crapaud. Qui plus est, un crapaud VIVANT. Qui survivra trois mois, non sans avoir été dument expertisés par des membres de l'Académie des Sciences. En 1862, à 200 mètres de profondeur, on découvre un autre crapaud vivant dans un bloc de houille... enfin, on a même retrouvé des lézards vivants dans des carrières de pierre à chaux, dans l'état de l'Indiana aux USA. Ils n'ont plus leurs yeux et ne survivent que quelques minutes à l'air libre... belle prouesse, quand on sait que ces animaux ont PLUSIEURS DIZAINES DE MILLIERS D'ANNEES.

Comme souvent, nous ne savons pas grand chose et ne pouvons que formuler des hypothèses... libre à vous de vous créer les votres, personnellement je suis passionné par toutes ces questions sans réponse, ainsi que ces formidables déviations par rapport à ce qu'on admet trop facilement comme une réalité, une norme, une physique unique et indivisible.





(1) Joli pirouette cérébrale au passage : nier l'existence d'un phénomène qui sort des critères de normalité admis, au nom de la rationalité, pour en venir à invoquer une quelconque influence diabolique suite aux arguments de l'auteur, toujours au nom de la rationalité...



Sources :


Armentière et ses environs.
Jean-Louis DECHERF
Les corps à prodiges, Michel MELIEUX & Jean ROSSIGNOL
Le vampirisme, Robert AMBELAIN
Histoires magiques de l'histoire de France, T.2, Louis PAUWELS & Guy BRETON

Vendredi 26 juillet 2013 à 23:50

Pour les rares parmi vous qui n'ont allumé ni leur téléviseur, ni leur radio, ni leur connexion internet au cours des (au moins) deux dernières années, ceci vous surprendra peut-être : la compétitivité est le nouveau fer de lance de l'économie mondiale, le levier qui permettra aux économies nationales de redresser la barre et de relever le défi de la croissance économique. Du moins, si l'on en croit les imprécations de celles et ceux (responsables politiques, dirigeants de grandes entreprises, "journalistes", simple quidam) qui sont les tenants de la nouvelle doxa économique, d'obédience néo-libérale comme de bien entendu.

Or, comme nous en avons maintenant la triste habitude avec les théories néo-libérales, le matraquage médiatique - qui s'apparente plus au lavage de cerveau qu'à de la propagande soigneusement distillée - ne parvient pas à dissimuler les énormes failles économiques, sociales et même sémantiques d'une telle idée. La théorie de la compétitivité, c'est celle que l'on nous vend sous le terme infantilisant de "gagnant-gagnant". Disons que l'idée est d'appliquer presque stricto sensu la grille de lecture et les outils de la compétitivité entre les entreprises à des territoires (régions, pays, etc). Ce qui dès le premier abord peut paraître imbécile en raison des immenses différences que l'on rencontre entre entreprises et territoires est pourtant globalement accepté comme une approche rationnelle et presque moderne du fonctionnement de l'économie.

Evoquons, pêle-mêle, quelques-unes des différences fondamentales entre une entreprise et un territoire :

- Le but d'une entreprise à modèle capitaliste est de générer des profits, ce qui n'est pas la priorité d'un territoire.

- Un territoire ne se borne pas à exister en tant qu'entité économique, c'est peut-être même la dernière chose qui le caractérise. Un territoire est un agrégat (entre autres) de personnes, de milieux, de cultures, d'une histoire... ce qui est très loin d'être le cas en entreprise, sauf si l'on cède au diktat du storytelling dont usent et abusent des multinationales comme Apple ou McDonald's, se voulant nouvelles références culturelles. (1)

- Il est concevable, surtout dans nos économies libérales, qu'une entreprise soit notée principalement en fonction de ses performances économiques, puisque c'est a priori sa fonction première.

Or, le nouveau paradigme économiste conçoit les territoires comme des entreprises en concurrence, en recherche d'attractivité et de baisse des coûts (donc, de compétitivité). Ces territoires se doivent donc de traquer leurs déficits et de dégager un maximum d'excédents de budget. Ces territoires doivent mettre au pas (ou au moins en veilleuse) toute une batterie de programmes sociaux-culturels et autres afin de se focaliser sur leur situation économique au sein de l'économie mondiale. Enfin, ces territoires sont scrutés à la loupe des outils néo-libéraux, prétendument les seuls à même de rendre compte objectivement de l'état des dits territoires, au détriment de tous les autres indicateurs pertinents qui existent dans ce monde (et dont le PIB et même l'IDH ne font certainement plus partie, au passage).

D'apparence anodine, ce changement de paradigme est pourtant lourd de conséquences :

Premièrement, la subordination des territoires à l'économie. Les multinationales et les grands établissements bancaires sont les plus grands argentiers de la planète, qui concentrent une part démesurée des richesses mondiales. Alors qu'auparavant les territoires avaient, pour la plupart, assez de puissance pour réguler ou légiférer à leur convenance leur économie, ils sont maintenant inféodés et suspendus aux décisions de ces argentiers et des institutions sous leur contrôle (ou qui, à défaut, les soutiennent) : FMI et Banque Mondiale en tête. En cause, mais pas que, le formidable élan dérégulateur des années 80-90 qui a permis à l'économie financière de se développer de façon exponentielle, tout comme l'actionnariat spéculatif.

Ensuite, c'est la gestion de ces territoires qui se retrouve affectée. La mode, à l'heure actuelle, est de considérer un territoire comme une vaste entreprise qui peut se manager. D'où, déjà, l'apparition de classement : rankings, benchmarkings... mais également des systèmes de notation qui font les délices de notre esprit critique : Ces fameuses lettres AAA dont on nous a tant parlé et vanté les mérites... et bien nous nous sommes aperçus que lorsqu'elles disparaissaient, on pouvait s'en moquer royalement. Ce qui n'était pas le son de cloche des politiques de tout bords, ce qui nous conduit à nous interroger sur qui sont les cloches... bref. Plus rigolo encore, c'est depuis que la note de la France est au plus bas chez les trois principales agences de notation que notre pays peut emprunter au taux le plus bas jamais enregistré, jusqu'à recevoir des emprunts négatifs. C'est à dire que les investisseurs sont prêts à allonger la monnaie, pourvu qu'ils puissent nous prêter de l'argent... 

Hélas, si ces quelques lignes font sourire, le rictus va vite vous apparaitre à la lecture de celles qui suivent : cette mise en compétition des territoires, non seulement propage la mondialisation marchande, mais en plus fait reculer l'idée même du cosmopolitisme. Oui, vous savez ? Cette vieille idée pour laquelle énormément de personnes sont mortes, qui consiste à croire en la capacité de l'être humain à reconnaitre ce statut à tout un chacun, quelque soit son lieu de naissance, son apparence, sa langue... ce que nos cher(e)s croisés du néo-libéralisme qualifieront joyeusement d'utopie. (2)

Ce délitement des relations, cette mise en concurrence ne s'exerce pas seulement entre les territoires, mais à l'intérieur même de ces derniers, entre ce qu'on appelle les "agents économiques". En l'occurrence : les entreprises, les associations, vous, moi, etc... chaque "agent" se voit "contraint" d'être compétitif au sein d'un territoire qui se doit d'être lui même compétitif. C'est une course à la compétitivité qui se déroule sur plusieurs échelles. Au niveau de la vie quotidienne, cela se traduit par une marchandisation des rapports humains, par la déliquescence des services publics, abandonnés par les pouvoirs publics dans une logique de baisse des coûts (au nom de la compétitivité), repris en main par des entreprises privées qui en détruisent la notion et la fonction (au nom de la compétitivité) afin de les orienter vers une vulgaire service marchand (au nom de la compétitivité).

Sans même parler du fait que nos joyeux lurons du monde politico-financier semblent oublier que le bonheur est le meilleur stimulant et le plus grand désir de la plupart d'entre nous, cette liste sordide commence à être bien longue... mais les failles sont encore plus nombreuses.

Le biais le plus "beau" est à la fois le plus important et le moins médiatisé : il s'agit de la fusion entre la notion de compétitivité et la baisse du coût du travail... ce qui renseigne beaucoup sur l'origine de cette théorie et les intentions de ses promoteurs. A AUCUN MOMENT, sinon pour effet d'annonce purement politicien, n'a été sérieusement envisagé une amélioration de la productivité par la chute des coûts du capital. Navré pour les traumatisé(e)s des cours d'économie au lycée, mais expliquons cela simplement : la part du capital se définit par le capital fixe (cette bonne vieille "formation brute de capital fixe"), c'est à dire celui nécessaire au lancement, à l'entretien et à la pérennisation d'un projet. Capital "obligatoire" en quelque sorte. Vient ensuite le capital "flottant", celui qui provient des dividendes et des bénéfices. Jamais réinjecté, ou si peu, ce capital devient vite une manne pour les rentiers. Une manne au coût exorbitant pour les collectivités, qui n'a pourtant pas été sollicitée lorsqu'il fut "nécessaire" de racheter des centaines de milliards d'euros d'obligations pourries via les finances publiques, dans le but de renflouer les banques qui confondent naïvement les activités de dépôt et de finance... (3)

Surtout, la compétitivité est le meilleur moyen de poursuivre notre avancée dans l'aventure de la galère économique généralisée. Car ne nous y trompons pas, les argentiers actuels s'enrichissent considérablement depuis quelques années (4), alors que leurs établissements sont prétendument en crise et au bord de la faillite. Rien de tel, dans ces cas là, que de licencier des dizaines de milliers de personnes et de recruter moitié moins de travailleurs précaires : cela améliore le ranking, donc la compétitivité. CQFD.

Enfin, la théorie de la compétitivité est en totale opposition avec les mouvements plus ou moins récents de contestation et de contre-propositions à l'ordre établi. Alors que l'idée (et la nécessité) d'une transition écologique est toujours plus revendiquée (mais nettement moins médiatisée), les décideurs politiques et leurs amis qui tiennent les cordons de la bourse s'enferrent toujours plus dans le mythe éculé de la Croissance infinie et du progrès. Ceci, à l'heure où nous surexploitons largement les ressources naturelles et l'être humain sur la planète. (5)
Pire, elle augmente les inégalités. Il n'y a qu'à voir le traitement de choc réservé à la Grèce. Véritable laboratoire des politiques applicables à l'ensemble de l'Europe en matière de compétitivité, la situation est telle que même le FMI se met à doucement critiquer son action au sein du pays. La pauvreté qui règne là-bas est bien plus forte que ne le laissent penser les bien trop rares reportages diffusés sur une quelconque onde en France. (6)

Soyons clairs : la théorie de la compétitivité nous prend pour des cons. On nous la présente comme une règle économique qui n'engendrerait que des gagnants, une compétition saine et vertueuse, loin de toute forme de régulation. Les compétitions amicales existent, bien sûr. Mais on y désigne toujours un vainqueur. Alors que dire d'une bagarre à toute épreuve, ponctuée d'ententes cordiales profitables ? Car l'objet de la compétition, ici, c'est l'A-R-G-E-N-T, plus que l'image, voire que la domination. Nous avons tous, un jour ou l'autre, expérimenté le rapport très intéressant entre l'amitié et l'argent, d'où nos mises en garde et notre perplexité quant à la bonté d'une telle compétition.

Bref, pour faire dans la métaphore pas chère : alors que nous fonçons droit dans le mur, nous appuyons sur l'accélérateur et nous changeons le rétroviseur.









(1) Elles ont d'ailleurs plus ou moins réussi leur pari, grâce à la complaisance des médias mainstream et des milliards d'euros envolés dans des budgets de communication et de publicité.

(2) A qui nous ferons aimablement remarquer que le vote des femmes, la reconnaissance des droits des enfants, la séparation entre l'Eglise et l'Etat, ainsi que le capitalisme lui-même, ont un jour été des utopies.

(3) Selon des méthodes très bien décrites dans cet article de Frédéric Lordon : http://www.monde-diplomatique.fr/2010/02/LORDON/18789

(4) Pour les sceptiques ou réfractaires aux affirmations péremptoires, je recommande des lectures du Canard Enchaîné, du Monde Diplomatique ou encore du fil rezo.net (entre autres), où l'on trouve bon nombre de sources qui allèguent les assertions de cet article. Si tout n'est pas annoté, voyez-y de la flemme et non une quelconque malice.

(5) Ma mémoire vacille, mais il existe une sorte de "point de crédit terrestre". Créé par une ONG dont je n'ai plus le nom en tête, avec comme critique principale le fait qu'il ne prenne que en compte que des estimations des ressources naturelles à l'échelle planétaire (estimations réalistes, ceci dit). Ce "point" est utile car il permet une compréhension simple, "économique" même, de la surexploitation des ressources. Il s'agit de définir le jour de l'année où l'on a épuisé le stock annuel de ressources naturelles de la planète. Lors de ma première année universitaire en environnement, ce jour était situé en octobre. Lors de ma troisième année, en septembre.

(6) Voir à ce sujet le très riche blog Greek Crisis : http://www.greekcrisis.fr/

Samedi 8 juin 2013 à 19:35

 
Lorsqu'on se coupe du flot médiatique avant d'y replonger, même pendant une courte période, on se trouve confronté à une série d'évènements qui semblent prendre une dimension énorme dans la société. Ce week-end, je découvre que l'évènement "phare" est la mort d'un jeune homme, très probablement tué par les coups des fascistes. 

Ce fait divers amène plusieurs réflexions :
 
- Il met en lumière la montée en puissance du mouvement que l'on qualifiera de fasciste (mais imbriquant suprématistes, identitaires, racistes, néo-nazis mais aussi intégristes religieux de toutes obédiences) en Europe et dans le monde. Les médias français semblent en majorité (re)découvrir la menace fasciste à la lumière de ce décès, alors qu'elle n'a jamais cessé d'être depuis son explosion dans les années 80. [1] Les ratonnades et autres chasses au "gauchiste" sont systématiques dans certains quartiers, notamment à Lyon, devenus les repaires notoire de fascistes en tout genre. Ailleurs et notamment en Grèce, les groupuscules fascistes se muent en partis politique comme Aube Dorée. Chez nous, le Front National sert notamment de couverture respectable, de "base de repli" pour nombre de petits nazillons, quoique le parti se targue "d'épurer" de tels membres.

- Nous ne retrouvons pas, loin s'en faut, la même émotion ni le même focus des médias au sujet des innombrables agressions et meurtres à caractère raciste qui ont lieu chaque année en France. Il est vrai, peu souvent à l'encontre d'un jeune étudiant de Sciences-Po. Si cet éclairage peut paraitre un soulagement, il est évident qu'il n'annonce rien de bon, car soumis à l'exigence du nouveau traitement médiatique de l'information, faits d'approximations et de mots devenus puants, selon la bonne formule de Nietzsche. En témoigne les invitations destinées aux égéries du mouvement facho ("Batskin" Ayoub en tête) sur les plateaux télés, jouant tranquillement leur partition de victimes et propageant leurs théories dans la plus grande courtoisie.  Sans oublier les inévitables récupérations politiques, le nombre de mains en train de porter ce cercueil devient très impressionnant.

- La mise dos à dos d'une prétendue extrême-gauche face à une autre prétendue extrême-droite, vaste fourre-tout regroupant tellement de définitions que le nombre de membres de ces extrêmes peut être très fluctuant, toujours avec l'appui et la bénédiction des médias. Cette stratégie permet non seulement de légitimer à nouveau les ensembles politiques centristes (UMP, PS), bien mal en point dans ce qu'on appelle l'opinion publique (si ceci a encore un sens) tout en discréditant les "extrêmes".

Cette dérive sémiologique permet aussi d'associer la violence fascisante, majoritairement réprouvée, à tout l'éventail d'idées et de mouvements progressistes, libertaires, situationnistes, anarchistes ou auto-gestionnaires de ce qu'on appelle et associe encore, pour une raison qui m'échappe, à la gauche socialiste (et non sociale-démocrate) ou communiste. Tous ces mouvements qui se détachent du spectre politique traditionnel, voire le rejettent, se retrouvent étiquetés comme faisant partie de l'extrême gauche et comparés aux fascistes qu'ils combattent.


D'où la question : Comment combattre le fascisme ? Comment combattre l'Etat régalien (car il est clair que l'Etat-Providence est méthodiquement déconstruit par des plans de rigueurs, feuilles de route de l'illusion de la dette publique), devenu le bras armé non plus d'un quelconque clergé, mais d'un système où le politique, le financier et le mafieux sont tellement imbriqués qu'il ne forme presque plus qu'une seule et même entité ? Là aussi, je souhaite apporter mes réflexions sur ces questions, qui rejoignent sur de nombreux points celles de Raoul Vaneigem [2] :

- Historiquement, deux pôles émergent dans la lutte contre le fascisme et/ou les systèmes répressifs. La guerilla armée en premier lieu, dont les exemples les plus connus (et généralement les plus funestes) sont la Commune de Paris, la révolution cubaine, les makhnovistes (le fascisme montre qu'il peut aussi se situer à gauche de l'échiquier politique) ou encore les libertaires espagnols. Ils ont choisi de prendre les armes, certains mouvements ont échoués. Ceux qui ont réussis n'ont pas pu surmonter le fait que les armes prirent l'ascendant sur les idées, rameutant au passage l'exercice du pouvoir et de la logique militaire. Donc, l'échec d'une société nouvelle, ou meilleure. Je parlerai plus tard d'un cas à part : l'EZLN.

Puis, nous avons le pacifisme inspiré de Gandhi et de la lutte indienne pour l'indépendance. Mouvement révolutionnaire de désobéissance civile qui force l'admiration et le respect, qui guide encore de nos jours de nombreux pacifistes. Le problème majeur du pacifisme est qu'il dépend avant tout de l'adversaire. Cette méthode fut possible grâce à de nombreux facteurs humains et subversifs, mais également par un certain code d'honneur militaire et un grand usage de la diplomatie par le colonisateur britannique. D'autres tentatives de révolutions par la désobéissance civile se sont soldées par des massacres à grande échelle de pacifistes par le pouvoir ou des milices, notamment en Afrique du Sud, en Argentine, au Mexique et en Birmanie pour ne citer que les plus tristement marquants.

- Les moyens de lutte devraient être efficients non seulement dans des pays disposant d'un système politique plus contrôlé, comme la France, mais également dans des pays qui souffrent d'une violence et d'une répression sans commune mesure avec les habitudes en cours dans la plupart des pays occidentaux. Il faut imaginer ce que peut signifier la lutte dans un pays comme l'Iran, la Corée du Nord ou la Palestine. Répression toujours féroce dans des pays comme la Chine, la Russie, les Etats-Unis, l'Argentine, le Brésil, l'Algérie, le Maroc, le Barhein, Israël et une dizaine d'autres. La France rentrant à grand pas dans cette catégorie intermédiaire comportant des pays dits démocratiques.

- Les expériences montrent que la lutte devrait se penser en tant que globale et cosmopolite, mais également s'incruster dans le local. Que l'on parle de créer des situations de vie meilleure, de recréer des liens, une solidarité et une envie de vivre locale, ou encore de se réapproprier nos vies. La nécessité actuelle et d'expérimenter, d'essaimer ce qui a été théorisé depuis des décennies et qui prend forme petit à petit. Cette nécessité se heurte non seulement à la force d'inertie, mais également à la résistance acharné de certain(e)s à leurs privilèges ; la fuite en avant et le démantèlement d'un système qui se veut et se perçoit encore comme trop lointain et trop puissant ; l'ancrage millénaire de systèmes étatiques, de comportements sociaux hiérarchisés, de tradition marchande ; enfin, la peur.

- Dans les pays les plus encadrés par les institutions, des communautés se forment et expérimentent, redécouvrent, mêlent ou inventent des façons de vivre ensemble. De petits ensembles existent au sein de territoires, permettant la diffusion de modes de vie qui sortent du carcan largement diffusé et subi par la mondialisation du capital et du système financier ainsi que des aliénations que cela entraîne. Elles sont autant de remparts contre le fascisme comme seule alternative au délitement de l'Etat comme organisateur et protecteur social.

- L'EZLN, pour Ejército Zapatista de Liberación Nacional, est à ce jour le seul mouvement révolutionnaire d'auto-défense dans le monde, le MLNA touareg s'étant récemment mué en force belligérante. L'EZLN est présent dans le Chiapas mexicain, né de l'imagination de six individus, il comportait quelques années plus tard plusieurs milliers de combattants qui occupèrent les villes de la Selva. Cela en réaction à la confiscation des terres par le gouvernement mexicain et les propriétaires terriens, mais également la spoliation des ressources naturelles et énergétiques, l'abandon de l'action sociale sur le territoire. Sans oublier les assassinats et même les massacres perpétrés contre les indigènes par l'armée mexicaine et les milices paramilitaires.

Les habitants se sont donc collectivement regroupés et ont pris les armes. Pour se défendre et reprendre ce qui leur appartenait. Depuis, les territoires sous contrôle de l'EZLN expérimentent de nouvelles formes de démocratie directe. Quoique d'obédience marxiste, le mouvement a évolué vers un modèle plus autogestionnaire. Les terres et l'alimentation sont mises en commun. Tout le monde peut parler aux assemblées et proposer quelque chose, y compris les enfants. Il n'y a pas d'élus, juste des représentants choisis directement et devant rendre compte de leurs actions, qui sont de toute manière discutées collectivement. On mise sur la stimulation du talent de chacun plutôt que le formatage de compétences dans un moule. 

D'une manière générale, la mise en forme au niveau local d'ambitions globales, cosmopolites et prétendument utopistes au Chiapas ont permis de grandes avancées dans la qualité et la reprise en main de la vie des habitants de ces territoires. La force militaire de l'EZLN est en sommeil, dans le sens ou elle est  toujours mobilisable en cas d'agression des forces fascistes ou systémiques. Ceci est le sens de l'auto-défense : se donner les moyens d'imposer son mode de vie et de le pérenniser, afin de permettre sa diffusion. Si un tel essaimage réussissait à l'échelle mondiale, nul doute que nous pourrions enfin sérieusement baisser le niveau de la violence économique, sociale et militaire à l'oeuvre dans le monde. En ce sens, la voie vers la pacification nécessite d'abandonner l'attaque, car nous nous résoudrions ainsi à jouer le jeu de l'ennemi et perpétuer les mêmes modes de fonctionnement. Cependant, la défense est nécessaire, à moins de céder aux sirènes de la gloire romantique et du martyre, les massacres ne devraient plus exister. La capacité à se défendre soi-même et collectivement n'est pas qu'un simple détail dans la réappropriation de nos vies.




[1] Avec ici un très bon documentaire, qu'on peut qualifier de partisan, sur l'émergence du mouvement antifa en réaction aux attaques des groupuscules fascistes http://www.youtube.com/watch?v=umZFeapPkKI&list=PL8F363C0C3EA4C253&index=14

[2] Raoul Vaneigem, L'Etat n'est plus rien, soyons tout , ed : rue des cascades
 

<< Page précédente | 1 | 2 | Page suivante >>

Créer un podcast