Samedi 8 juin 2013 à 19:35

 
Lorsqu'on se coupe du flot médiatique avant d'y replonger, même pendant une courte période, on se trouve confronté à une série d'évènements qui semblent prendre une dimension énorme dans la société. Ce week-end, je découvre que l'évènement "phare" est la mort d'un jeune homme, très probablement tué par les coups des fascistes. 

Ce fait divers amène plusieurs réflexions :
 
- Il met en lumière la montée en puissance du mouvement que l'on qualifiera de fasciste (mais imbriquant suprématistes, identitaires, racistes, néo-nazis mais aussi intégristes religieux de toutes obédiences) en Europe et dans le monde. Les médias français semblent en majorité (re)découvrir la menace fasciste à la lumière de ce décès, alors qu'elle n'a jamais cessé d'être depuis son explosion dans les années 80. [1] Les ratonnades et autres chasses au "gauchiste" sont systématiques dans certains quartiers, notamment à Lyon, devenus les repaires notoire de fascistes en tout genre. Ailleurs et notamment en Grèce, les groupuscules fascistes se muent en partis politique comme Aube Dorée. Chez nous, le Front National sert notamment de couverture respectable, de "base de repli" pour nombre de petits nazillons, quoique le parti se targue "d'épurer" de tels membres.

- Nous ne retrouvons pas, loin s'en faut, la même émotion ni le même focus des médias au sujet des innombrables agressions et meurtres à caractère raciste qui ont lieu chaque année en France. Il est vrai, peu souvent à l'encontre d'un jeune étudiant de Sciences-Po. Si cet éclairage peut paraitre un soulagement, il est évident qu'il n'annonce rien de bon, car soumis à l'exigence du nouveau traitement médiatique de l'information, faits d'approximations et de mots devenus puants, selon la bonne formule de Nietzsche. En témoigne les invitations destinées aux égéries du mouvement facho ("Batskin" Ayoub en tête) sur les plateaux télés, jouant tranquillement leur partition de victimes et propageant leurs théories dans la plus grande courtoisie.  Sans oublier les inévitables récupérations politiques, le nombre de mains en train de porter ce cercueil devient très impressionnant.

- La mise dos à dos d'une prétendue extrême-gauche face à une autre prétendue extrême-droite, vaste fourre-tout regroupant tellement de définitions que le nombre de membres de ces extrêmes peut être très fluctuant, toujours avec l'appui et la bénédiction des médias. Cette stratégie permet non seulement de légitimer à nouveau les ensembles politiques centristes (UMP, PS), bien mal en point dans ce qu'on appelle l'opinion publique (si ceci a encore un sens) tout en discréditant les "extrêmes".

Cette dérive sémiologique permet aussi d'associer la violence fascisante, majoritairement réprouvée, à tout l'éventail d'idées et de mouvements progressistes, libertaires, situationnistes, anarchistes ou auto-gestionnaires de ce qu'on appelle et associe encore, pour une raison qui m'échappe, à la gauche socialiste (et non sociale-démocrate) ou communiste. Tous ces mouvements qui se détachent du spectre politique traditionnel, voire le rejettent, se retrouvent étiquetés comme faisant partie de l'extrême gauche et comparés aux fascistes qu'ils combattent.


D'où la question : Comment combattre le fascisme ? Comment combattre l'Etat régalien (car il est clair que l'Etat-Providence est méthodiquement déconstruit par des plans de rigueurs, feuilles de route de l'illusion de la dette publique), devenu le bras armé non plus d'un quelconque clergé, mais d'un système où le politique, le financier et le mafieux sont tellement imbriqués qu'il ne forme presque plus qu'une seule et même entité ? Là aussi, je souhaite apporter mes réflexions sur ces questions, qui rejoignent sur de nombreux points celles de Raoul Vaneigem [2] :

- Historiquement, deux pôles émergent dans la lutte contre le fascisme et/ou les systèmes répressifs. La guerilla armée en premier lieu, dont les exemples les plus connus (et généralement les plus funestes) sont la Commune de Paris, la révolution cubaine, les makhnovistes (le fascisme montre qu'il peut aussi se situer à gauche de l'échiquier politique) ou encore les libertaires espagnols. Ils ont choisi de prendre les armes, certains mouvements ont échoués. Ceux qui ont réussis n'ont pas pu surmonter le fait que les armes prirent l'ascendant sur les idées, rameutant au passage l'exercice du pouvoir et de la logique militaire. Donc, l'échec d'une société nouvelle, ou meilleure. Je parlerai plus tard d'un cas à part : l'EZLN.

Puis, nous avons le pacifisme inspiré de Gandhi et de la lutte indienne pour l'indépendance. Mouvement révolutionnaire de désobéissance civile qui force l'admiration et le respect, qui guide encore de nos jours de nombreux pacifistes. Le problème majeur du pacifisme est qu'il dépend avant tout de l'adversaire. Cette méthode fut possible grâce à de nombreux facteurs humains et subversifs, mais également par un certain code d'honneur militaire et un grand usage de la diplomatie par le colonisateur britannique. D'autres tentatives de révolutions par la désobéissance civile se sont soldées par des massacres à grande échelle de pacifistes par le pouvoir ou des milices, notamment en Afrique du Sud, en Argentine, au Mexique et en Birmanie pour ne citer que les plus tristement marquants.

- Les moyens de lutte devraient être efficients non seulement dans des pays disposant d'un système politique plus contrôlé, comme la France, mais également dans des pays qui souffrent d'une violence et d'une répression sans commune mesure avec les habitudes en cours dans la plupart des pays occidentaux. Il faut imaginer ce que peut signifier la lutte dans un pays comme l'Iran, la Corée du Nord ou la Palestine. Répression toujours féroce dans des pays comme la Chine, la Russie, les Etats-Unis, l'Argentine, le Brésil, l'Algérie, le Maroc, le Barhein, Israël et une dizaine d'autres. La France rentrant à grand pas dans cette catégorie intermédiaire comportant des pays dits démocratiques.

- Les expériences montrent que la lutte devrait se penser en tant que globale et cosmopolite, mais également s'incruster dans le local. Que l'on parle de créer des situations de vie meilleure, de recréer des liens, une solidarité et une envie de vivre locale, ou encore de se réapproprier nos vies. La nécessité actuelle et d'expérimenter, d'essaimer ce qui a été théorisé depuis des décennies et qui prend forme petit à petit. Cette nécessité se heurte non seulement à la force d'inertie, mais également à la résistance acharné de certain(e)s à leurs privilèges ; la fuite en avant et le démantèlement d'un système qui se veut et se perçoit encore comme trop lointain et trop puissant ; l'ancrage millénaire de systèmes étatiques, de comportements sociaux hiérarchisés, de tradition marchande ; enfin, la peur.

- Dans les pays les plus encadrés par les institutions, des communautés se forment et expérimentent, redécouvrent, mêlent ou inventent des façons de vivre ensemble. De petits ensembles existent au sein de territoires, permettant la diffusion de modes de vie qui sortent du carcan largement diffusé et subi par la mondialisation du capital et du système financier ainsi que des aliénations que cela entraîne. Elles sont autant de remparts contre le fascisme comme seule alternative au délitement de l'Etat comme organisateur et protecteur social.

- L'EZLN, pour Ejército Zapatista de Liberación Nacional, est à ce jour le seul mouvement révolutionnaire d'auto-défense dans le monde, le MLNA touareg s'étant récemment mué en force belligérante. L'EZLN est présent dans le Chiapas mexicain, né de l'imagination de six individus, il comportait quelques années plus tard plusieurs milliers de combattants qui occupèrent les villes de la Selva. Cela en réaction à la confiscation des terres par le gouvernement mexicain et les propriétaires terriens, mais également la spoliation des ressources naturelles et énergétiques, l'abandon de l'action sociale sur le territoire. Sans oublier les assassinats et même les massacres perpétrés contre les indigènes par l'armée mexicaine et les milices paramilitaires.

Les habitants se sont donc collectivement regroupés et ont pris les armes. Pour se défendre et reprendre ce qui leur appartenait. Depuis, les territoires sous contrôle de l'EZLN expérimentent de nouvelles formes de démocratie directe. Quoique d'obédience marxiste, le mouvement a évolué vers un modèle plus autogestionnaire. Les terres et l'alimentation sont mises en commun. Tout le monde peut parler aux assemblées et proposer quelque chose, y compris les enfants. Il n'y a pas d'élus, juste des représentants choisis directement et devant rendre compte de leurs actions, qui sont de toute manière discutées collectivement. On mise sur la stimulation du talent de chacun plutôt que le formatage de compétences dans un moule. 

D'une manière générale, la mise en forme au niveau local d'ambitions globales, cosmopolites et prétendument utopistes au Chiapas ont permis de grandes avancées dans la qualité et la reprise en main de la vie des habitants de ces territoires. La force militaire de l'EZLN est en sommeil, dans le sens ou elle est  toujours mobilisable en cas d'agression des forces fascistes ou systémiques. Ceci est le sens de l'auto-défense : se donner les moyens d'imposer son mode de vie et de le pérenniser, afin de permettre sa diffusion. Si un tel essaimage réussissait à l'échelle mondiale, nul doute que nous pourrions enfin sérieusement baisser le niveau de la violence économique, sociale et militaire à l'oeuvre dans le monde. En ce sens, la voie vers la pacification nécessite d'abandonner l'attaque, car nous nous résoudrions ainsi à jouer le jeu de l'ennemi et perpétuer les mêmes modes de fonctionnement. Cependant, la défense est nécessaire, à moins de céder aux sirènes de la gloire romantique et du martyre, les massacres ne devraient plus exister. La capacité à se défendre soi-même et collectivement n'est pas qu'un simple détail dans la réappropriation de nos vies.




[1] Avec ici un très bon documentaire, qu'on peut qualifier de partisan, sur l'émergence du mouvement antifa en réaction aux attaques des groupuscules fascistes http://www.youtube.com/watch?v=umZFeapPkKI&list=PL8F363C0C3EA4C253&index=14

[2] Raoul Vaneigem, L'Etat n'est plus rien, soyons tout , ed : rue des cascades
 

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