Dimanche 28 juillet 2013 à 17:50



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Le terme de "cathare" évoque beaucoup de choses, pour ceux qui, du moins, en ont entendu parler. Florilège non exhaustif :

- Une secte dogmatique à tendance suicidaire.
- Les derniers gardiens du trésor des Templiers.
- Le Ricard. Ou le Pastis.
- Les guerres de religion.
- Etc...

Il est étonnant de voir la quantité de fantasmes qui existent au sujet des cathares, alors que les sources de documentation et les travaux sérieux se sont multipliés lors du dernier siècle. Mais les réputations, même fausses, sont souvent tenaces. Je vais commencer par une présentation grossière de la religion cathare, du pourquoi de sa naissance, et des bouleversements hallucinants qu'elle a entrainé dans son sillage.

Les cathares, qui apparaissent fin Xème siècle, début XIème siècle après Jean-Claude, s'appelaient eux-même les "chrétiens". Ils se basaient sur la lecture de l'Evangile selon Saint-Jean. Là, si vous n'avez pas déjà décroché, vous vous dites : "mais attends mon gars ! S'ils sont chrétiens... d'où vient cette histoire de guerre de religions ?"

J'y viens : bien que s'estimant chrétiens, les cathares sont indubitablement hérétiques en regard du dogme de l'église catholique orthodoxe (orthodoxe sera toujours utilisé dans le sens strict de "conforme au dogme", je ne parle pas de l'Eglise orthodoxe qu'on trouve en Europe de l'Est). La première différence tient dans le manichéisme de la religion. Le manichéisme serait né au IIIème siècle en Babylonie, en faisant une synthèse du christianisme primitif, de l'enseignement de Bouddha et de Zarahoustra. Grossièrement, le Bien et le Mal sont éternels et coexistants. Pour les cathares, le Mal se manifeste dans l'essence physique de ce monde, y compris dans les corps humains (ce qui conduira nombre de "penseurs" à conclure au nihilisme des cathares).

Le manichéisme des cathares a contribué à l'évolution gnostique de leur religion. La gnose, c'est la Connaissance. Pour les uns du monde, pour les autres des esprits... pour les cathares, la connaissance de Dieu, de l'Être Supreme. Les cathares recherchaient l'illumination intérieure. Je vous épargne toutes les nuances philosophiques et spirituelles que cela entraine, mais elles y sont pour beaucoup dans le schisme qui se produira plus tard avec l'Eglise.

L'essentiel de la doctrine cathare se retrouve dans le manichéisme, mais il y a également d'autres différences radicales. Ainsi, les cathares croayient en la réincarnation ! Les corps étant l'incarnation du Mal, il n'y a que l'esprit qui compte. Quand le corps meurt, l'esprit continue à vivre et s'engage dans un nouveau cycle lors duquel il pourra tenter d'atténuer ses erreurs pour atteindre le stade final, l'illumination. (On est pas loin du concept de Nirvanah).

L'Eglise catholique orthodoxe peut déjà difficilement accepter un tel mouvement au sein même de la chrétienté. Mais la ligne est franchie par un dernier fondement du catharisme comme religion : l'affirmation que l'Eglise est diabolique , dans le sens où elle se concentre sur le dogme, les rituels, les idoles, qui sont diaboliques par leur essence matérielle. L'Eglise est d'abord critiquée sur le plan spirituel : les rites ne sont que des farces qui sont là pour égarer les vrais chrétiens et les déposséder de leur âme.

Mais - et c'est une des clefs du succès de la religion en Lengadoc - la dépossession n'est pas que spirituelle mais aussi matérielle. L'Eglise a tendance à s'approprier les terres et les richesses de ses ouailles, qui ne sont guère lotis au passage... les cathares vont déclencher un véritable déchainement anti-clérical, non pas par tactique mais tout simplement par "pureté" de foi, comme nous allons le voir par la suite.

Les cathares, et plus particulièrement les plus hauts placés, sont encore vus comme les tenants d'une religion dure, fanatique, qui nie l'être humain. (1) Dans les faits, c'est plutôt l'Eglise catholique orthodoxe qui a très bien rempli le rôle qu'on prête aux cathares.

Les ministres du cultes étaient les Bons Hommes ou les Bonnes Femmes (aussi appelés "Parfait(e)s" ou "Pur(e)s", dont l'étymologie renvoie à catharos). Petit rappel : nous sommes aux alentours de l'an 1100, et les femmes ont le droit d'atteindre les plus hautes fonctions religieuses. Ce qui importe n'est pas le corps, mais l'âme. On peut difficilement faire plus progressiste. D'ailleurs, de nos jours, nous n'y arrivons tout simplement pas, ou très peu. La plupart d'entre eux étaient des gens âgés, et avaient fondé une famille avant d'entreprendre leur "illumination". On voit d'ailleurs que ce sont des gens sensés, ils ont profité du plaisir diabolique du coït avant de s'engager dans l'abstinence.

Les Parfaits, qui venaient souvent de milieux modestes, recevaient au terme d'une initiation ce qu'on appelle le consolamentum (que l'on retrouvera plus tard). Grosso modo, le Saint Esprit leur était insufflé, leur âme était purifiée, et il devait ensuite s'en tenir à des règles de vie très strictes. Cependant, la masse des croyants n'étant pas habitée par le Saint-Esprit, les Parfaits étaient très sévères envers eux-même, mais également très permissifs à l'égard des croyants.

Les Bons devaient être pauvres, mais ne dépendre de personne. Ils avaient tous un métier (leur préféré : tisserand). Ils étaient végétariens, mais s'autorisaient le poisson. Ils s'interdisaient les rapports intimes, le serment, le mensonge et la violence sous toutes ses formes. Encore une fois, sans jamais imposer cette ligne de conduite aux croyants. En outre, ils étaient des prêcheurs inlassables, parcourant les routes. Ils maitrisaient au moins les rudiments des soins, et les croyants n'hésitaient pas à solliciter leur avis sur bien des questions, y compris théologiques, car on les considérait comme des sages.

L'intégrisme supposé des cathares vient peut-être du fait qu'on ne connait qu'un seul et unique cas d'abjuration de leurs croyances, face au bûcher de l'Inquisition... d'une manière générale, il eut été inconcevable qu'une religion dogmatique et intransigeante se soit développée en Lengaoc. "Pays" qui a vu naitre les trobadors (troubadours). Lieu d'une liberté économique, politique et sociale qu'on ne retrouve pas ailleurs à l'époque. Mieux, les cathares encouragent le commerce, l'artisanat et la solidarité au sein de la société. Tout en fustigeant l'hypocrisie de l'Eglise catholique et sa main-mise sur la foi et les possessions des fidèles... ce qui n'est pas du goût des autorités ecclésiastiques.


*****

A la fin du XIIème siècle, le comté de Toulouse était en pleine prospérité. Artisans, paysans, bourgeois, subissaient peu les contraintes du régime féodal. C'est dans ce milieu libre que s'épanouirent les troubadours. Ils adhérèrent rarement à l'hérésie mais ils étaient antiromains. L'anticléricalisme, l'émancipation des cités, la dispersion du pouvoir politique, favorisèrent la tolérance de l'hérésie. - Déodat du Puy-Montbrun


Avant de rentrer dans la baston à proprement parler, il vaut mieux donner quelques clefs de compréhension d'ordre politique.

Disons qu'un siècle à passé depuis la progression de la religion cathare en Languedoc... mais qu'est-ce que le Languedoc ? J'utilise ce terme dans un sens de simplification géographique, car notre Languedoc-Roussillon actuel correspond plutôt bien à l'espace de développement du catharisme (qu'on retrouve en Midi-Pyrénées également, n'avez qu'à jeter un oeil à leur emblème...)

La limite nord du secteur cathare se trouve en pays de Quercy (Cahors) et en Gévaudan (Mende, actuelle Lozère), ainsi qu'une percée jusqu'à Avignon (la cité papale) et au-dessus, vers Montélimar. Ces deux dernières villes, reliées à Nîmes (Gard), forment la ligne de démarcation Est. A l'Ouest, on parle du pays de Comminges, plus particulièrement côté Garonne. Au Sud, la barrière montagneuse des Fenouillèdes, près de Perpignan, où l'on trouve les plus isolées des forteresses cathares.

Au centre de ce vaste ensemble, le coeur du pays cathare : le comté de Toulouse, le duché de Razès (Mirepoix, Fanjeaux...), le Minervois, les Corbières (vallée de l'Aude) et bien sûr l'épicentre : la Rouergue, entre Tarn et Aveyron actuel.


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Si l'on ne compte pas le système de vassalité qu'on retrouve partout à l'époque, le territoire complet du royaume de France est plus petit que le seul comté de Toulouse, qui lui-même est loin d'être le plus grand ensemble à l'époque (cf duchés d'Aquitaine, de Bretagne, de Normandie...)


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Voici la situation de notre bonne vieille France en 1030, soit avant le lancement de l'Inquisition et de la seule et unique croisade en terre chrétienne (contre les comtés de Toulouse, Quercy, Rouergue, Roussillon, Gévaudan, ainsi que le marquisat de Gothie, vous l'aurez compris).

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Et ça (2), c'est le résultat trois siècles et près d'un million de morts plus tard. Que s'est-il passé entretemps ?

(1) Je pense notamment aux déclarations du député européen Yves Cochet (Verts) à l'encontre du journal La Décroissance, en 2011.

(2) En bleu foncé, le territoire royal. En mauve, le territoire vassalisé.

Sources :
Historia spécial, n°373 bis, 1977


A suivre...
 

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