Dimanche 28 juillet 2013 à 18:18


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Il y a une chose qu'on apprend normalement tous à l'école, c'est qu'autrefois en France il y avait les gens qui parlaient la "langue d'oïl et la langue d'oc" (rejetant au placard les Bretons, Savoyards, Basques, etc...). La réalité est bien plus compliquée, et il ne s'agit pas de deux ensembles distincts et unifiés.

Vous avez peut-être entendu parler de la croisade contre les cathares sous le nom de "croisade contre les albigeois". Albi est une ville du Tarn, qui réserva un accueil plus que houleux au représentant pontifical en 1145. En 1165, eut lieu la première battle de rap chrétien entre cathares et catholiques orthodoxes. Des jours de débat pour savoir qui avait raison, avec la populace comme arbitre. Pratique courante à l'époque. "Remportée" aisément par les cathares, avec des romains se contentant de taxer leurs adversaires d'hérétiques. (1) Les albigenses étaient le nom des cathares pour l'Eglise. Albi-Toulouse-Béziers-Foix. C'est cette zone qui est la plus soumise à l'influence du catharisme (sans oublier Agen).

Cas unique dans l'histoire des hérésies chrétiennes, le Lengadoc est le seul endroit où l'on voit une religion se développer et s'installer durablement à tous les niveaux de la population. Ce ne fut pas le cas avec les manichéens du Nord (Orléans, Reims...). Ni avec les ketzers (très similaire aux cathares, pas que dans la phonétique) en Allemagne ou encore les bougres dans les Balkans.

Le pourquoi tient avant tout à l'état économique, politique, religieux du Languedoc à l'époque. Nulle part ailleurs ne se retrouvent, au XIIème siècle, un tel esprit de tolérance et de liberté individuelle ; un "vide" politique et religieux, lié à l'absence d'une autorité centrale ; une expansion économique et urbaine. Alors que dans le Nord, prévaut une structure sociale typiquement féodale, imposant le servage. Ce qui permet au roi de France, malgré son territoire bien maigre, d'imposer sa loi à ses vassaux, presque sans anicroches. En Lengadoc, on est très loin du compte... 

Avant tout, n'oubliez pas que les structures féodales sont organisées en plusieurs niveaux de féodalité : Le comte de Toulouse est vassal du roi de France; Le compte de Foix est vassal du comte de Toulouse; Le seigneur du château de Montségur est le vassal du comte de Foix; etc... Dans le Nord, les paysans sont inféodés au seigneur, ce qui n'est pas le cas dans le Lengadoc. Au Nord, je l'ai dit, le roi de France est maître. Bien aidé par les traditions et mentalités franques et goths, l'Eglise puissante et respectée ainsi que, il faut bien l'admettre, un horizon mental plus étréci que d'autres peuples... (ndr : Rassurez-vous chers lecteurs du sud de la Manche, au bout de huit siècles vous vous êtes améliorés).

En Lengadoc, l'être humain est présent sur ces terres depuis bien plus longtemps que ceux du Nord (tribus germaines qui l'ont colonisé, principalement). Il y a là plus fort qu'au Nord l'héritage et l'influence des civilisations anciennes, raffinées eut égard à notre vision du Moyen-Âge. L'art y est en constante expansion et invention (les trobadors, ou troubadours...), les échanges commerciaux et intellectuels fructueux à l'échelle du bassin méditerranéen (principalement tenu par les arabes, alors en passe de devenir, pour environ deux siècles, la civilisation la plus évoluée et cultivée au monde). Bref, tout ceci permet une structure politique et sociale beaucoup plus lâche que dans le Nord. Mais ne vous trompez pas, nous n'avons pas affaire à des hippies tolérants, mais des capitalistes tolérants. L'assurance commerciale est inventée en pays occitan, se développent aussi les premières sociétés à actionnaires (pour la reconstruction des moulins de Bazacle, à Toulouse, suite à une inondation) !

La mobilité sociale est plus grande que dans le Nord. Les bourgeois et haut-bourgeois plus nombreux, les commerçants et artisans aussi, les paysans riches - parfois plus que leur seigneur - également. Il n'y a pas de droit d'aînesse, ce qui signifie que l'héritage est redistribué à égalité entre les enfants, ce qui dans le cas des seigneuries contribue à morceler le territoire, en opposition à la centralisation au Nord. La hausse des échanges commerciaux a entrainé la hausse du rôle des villes au sein du Lengadoc. Il faut savoir que Toulouse est alors plus peuplée et plus grande que Paris. Elle n'est d'ailleurs de fait pas dirigée par le Comte, mais par un conseil de douze élus appelés capitouls. Idem pour le vicomte de Béziers...

Pour faire court, la liberté est plus grande qu'ailleurs. Même les juifs (On parle du peuple déicide, selon les mentalités de l'époque et celles de certains de nos contemporains) sont réhabilités et autorisés à travailler en ville (comme financiers pour la plupart). Evidemment, l'Eglise s'y oppose, comme à presque tout d'ailleurs. Elle menace et excommunie à tout va tous les seigneurs et nobliaux libéraux, sans grand effet face aux retombées économiques et à la structure même de l'organisation sociale. Je reprends ici la phrase utilisée par Emmanuel Le Roy Ladurie, à propos du Languedoc : une constellation de républiques aristocratiques. Pire encore, la plupart des grands seigneurs sont nomades, bien conscients qu'ils ne règnent pas sur les villes, mais sur un comté.

Tout ceci explique la propagation et l'acceptation de l'hérésie cathare à tous les niveau du Languedoc. Même si les seigneurs avaient voulus s'entendre pour chasser les cathares, ils n'auraient pas pu :

Certes, le comté de Toulouse, est riche, puissant et respecté partout en Europe. Certes, il possède lui même huit grands vassaux (dont la Rouergue, la Provence, le Comtat Venaissain aka Avignon, Foix, etc...).

Mais le comte de Toulouse est non seulement vassal du roi de France, mais aussi d'Angleterre, avec qui la France sort de guerre et va bientôt s'y relancer, ce qui pousse les deux rois à la prudence.

Mais le le comte de Foix, est vassal de Toulouse mais aussi du roi d'Aragon (Catalogne, Asturies et autres). Ce qui fait que le roi d'Aragon possède des territoires en Languedoc mais aussi les villes de Montpellier et Millau.

Mais les rivalités, parfois militaires, entre vassaux de Toulouse (Foix Vs Béziers par exemple) créent une pagaille pas possible. Mais les petits seigneurs, vassaux des vassaux du comte de Toulouse (ça commence à faire beaucoup), ainsi que les propriétaires des forteresses imprenables comme à Minerve, Quéribus ou Termes agissent à leur guise.

Tandis qu'une Eglise corrompue, incapable de lever des impôts, discréditée, avec un clergé parfois chassé des paroisses, peine à exister.

Comprenez que si on mélange tous ces éléments en même temps, conjugués à l'incroyable dynamisme économique et social du pays cathare, on obtient un cocktail d'impuissance politique proprement ahurissant. Qui fait le bonheur des bourgeois, artistes, philosophes, commerçants et autres paysans.

Mais pas... mais alors pas DU TOUT le bonheur des seigneurs, qui, par ces situations ubuesques de liens diplomatiques bidons, ainsi que la puissance des collectivités locales, sont tout juste INCAPABLES de lever une armée. Ce qui ne serait rien... si l'Eglise et plus particulièrement le pape Innocent III (un bien joli nom pour un criminel) n'avait décidé la fin de la récréation et de montrer que c'est bien lui qui a la plus grosse (je parle de la Foi, bien entendu).

Dans un premier temps, l'Eglise catholique orthodoxe réagit en envoyant des missionnaires redonner la foi aux hérétiques de la région. On peut déjà tuer tout suspense : c'est un échec complet et persistant. Non seulement aucun Parfait ne reniera l'hérésie, mais très peu de fidèles cathares se convertirent de nouveau à la foi orthodoxe. Lorsque le pape Innocent III lance son programme de reconquête spirituelle du Languedoc, en 1198, en envoyant deux émissaires sur les routes : frère Guy et frère Raynier. On estime alors le nombre de Parfaits à environ 4.000, pour beaucoup plus de fidèles.

Le but des deux compères et d'amener à montrer publiquement aux cathares qu'ils sont dans le faux, en plus d'être hypocrites. Malheureusement, saint Bernard les prévient d'entrée : "Examinez leur manière de vivre et vous ne trouverez rien de répréhensible". La tache s'annonce ardue... sans compter que le clergé languedocien est soit inefficace, soit chassé de ses terres, soit lui-même corrompu par l'hérésie. Les deux moines vont parcourir le pays jusqu'à l'épuisement (Rainier tombe malade), mais ne récoltent que des insultes. Fin de la première manche.

En 1200, c'est le cardinal Jean de Saint-Prisque qui annonce en grande pompe qu'il va combattre l'hérésie. Son passage fut tellement important pour la population qu'on en retrouve quasiment nulle trace dans les archives de l'époque.

En 1204, le pape se chauffe un peu et désigne l'abbé Arnaud-Amaury (que l'on retrouvera souvent). Ils lancent la mode des débats, qui seront très suivis à l'époque. Le premier à lieu à Carcassonne, face à un évêque devenu cathare (Bernard de Simorre). 13 catholiques et autant de cathares forment le jury, tandis que Pierre II, roi d'Aragon (quand même!) préside les débats. A la fin des débats, Pierre II (catholique orthodoxe), par souci diplomatique, accorde la victoire aux catholiques romains. Cette "victoire" n'entraînera aucune conversion à la foi orthodoxe dans tout le Lengadoc.


La situation va considérablement changer avec l'arrivée de deux espagnols au campement d'Arnaud-Amaury, qui malgré la "victoire" pense à abandonner la mission que lui a confié le pape, tellement elle lui parait impossible à accomplir. L'un de ces espagnols s'appelle Dominique de Guzman, plus connu sous le nom de saint Dominique (comme quoi n'importe qui peut être sanctifié...). Il secoue l'abbé et ceux qui l'accompagne, et parle "tactique" : il sermonne le clergé qui continue dans ses mauvaises habitudes, et les presse de continuer à prêcher mais en étant aussi "Parfaits" que les cathares. Je ne m'attarderai pas trop sur l'influence majeure de Dominique de Guzman, disons simplement qu'il fut un fanatique catholique animé d'une volonté exceptionnelle.

Voilà donc nos deux espagnols sur les routes du Languedoc. Nous sommes en 1206. Ils rencontrent de nombreux cathares sur leur passage, et quelques bons mots leur sont adressés : "La prostituée (ndr : l'Eglise) m'a longtemps retenu. Elle ne m'aura plus jamais." (Thierry de Nevers). Dominique essuie des échecs dans tous les lieux qu'il découvre. Personne ne se convertit, c'est tout juste s'il n'est pas chassé par les habitants. En 1207, ils se rendent à Fanjeaux où résident de nombreuses familles cathares. Un débat est programmé à Montréal, non loin de là. Cet évènement est appelé le "Miracle de Montréal" par l'Eglise.

Pendant plus de quinze jours ont lieu des débats oraux et écrits entre partisans des deux fois. Une des propositions catholique aurait résisté à l'épreuve du feu, qui consiste à jeter le papier dans un brasier. Non pas une fois, mais trois fois. Aucune conversion n'a lieu pour les catholiques, mais cet évènement aura une renommée considérable.

Dominique et les siens sont cependant diminués. Ils voyagent dans le dénuement, ne mangent que ce qu'on leur donne (soit bien peu) et sont des proies faciles pour les loups, très présents à l'époque. En fait, Dominique, fatigué et fanatisé, en vient à chercher le martyre et souhaite presque se faire démembrer par la populace. Un jour, à Prouille, il craque. :

"Je vous ai chanté de douces paroles depuis bien des années, déjà en prêchant, en implorant, en pleurant. Mais, comme dit le peuple de mon pays, là où ne vaut la bénédiction prévaudra le bâton. Voilà que nous appllerons contre vous des chefs et des prélats qui, hélas ! rassembleront contre ce pays la puissance des nations et feront mourir bien des gens par le glaive, ruineront les tours, renverseront et détruiront les murs et vous réduiront tous en servitude. Ô douleur !"

Des paroles graves, prophétiques en un sens. L'échec de saint Dominique entraine un durcissement du ton du pape dans la diplomatie. Raymond VI, comte de Toulouse, s'énerve également. Le pape Innocent III est à bout de patience. C'est un assassinat qui va débloquer la situation et permettre à la machine de guerre sa mise en marche (comme souvent).

Le prétexte s'appelle Pierre de Castelnau, homme inflexible entièrement dévoué à l'Eglise, venu de Provence pour excommunier ou ramener à la raison Raymond VI, qui n'est guère intéressé. Le 14 janvier 1208, au petit matin, Pierre de Castelnau est assassiné par un chevalier qui le charge et le perfore de sa lance. Pour Innocent III, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase, il lance un appel à la croisade. Par les armes cette fois. Aujourd'hui encore, on ne sait qui est le commanditaire de l'assassinat. La version officielle est que Raymond VI en fut l'instigateur. Mais il n'était point sot, et forcément au courant du terrible jeu diplomatique qui allait s'enclencher, et de son incapacité à y répondre militairement.



(1) En filant la métaphore, ce serait comme un clash de Booba face à Oxmo Puccino.


Sources :
Les mêmes que sur le premier article.

A suivre...

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